Poème « Au chant du cygne » commenté par le Pr Mohamed Salah Ben Amor
Au chant du cygne
I
La mort, tel un oiseau de proie
Déploya ses ailes immenses.
Ses serres avec véhémence
Griffèrent l’harmonie de soie
Recouvrant les vagues azur
D’ombres argentées, lumineuses.
De ses longues ailes flâneuses
L’oiseau de mort au regard dur
Fendit le bleu miroir de l’onde,
Puis rebondit d’un coup de rein
Vers les hauts cieux faits d’airain
Laissant mon âme vagabonde
Voguer, pour un temps seulement,
Un temps de répit sur la vie,
Rien qu’un court instant de survie
Avant la nuit, fatalement…
II
L’oiseau de mort revint frôlant
Ma barque frileuse amarrée.
Je le regardai, effarée,
Verser son filet nonchalant
Sur mes espérances ultimes.
La mer eut des relents de sang,
Puis l’onde se grisa d’encens
En m’attirant dans ses abîmes…
III
Dans l’antre de la mer, enfin
Je crus entrevoir la lumière ;
Elle me parut familière.
J’étais à deux doigts de la fin
C’était si doux dans l’onde claire.
Un tapis d’algues m’accueillait,
La mort sereine me cueillait
Telle la fleur abécédaire
D’un dictionnaire des décès.
J’eus soudain très envie de vivre,
Me libérai d’un élan ivre
D’entre les mailles du corset.
IV
Une fois parvenue au jour,
Libérée du carcan liquide
Orchestré par la mort, son vide,
J’osai espérer un amour
Qui viendrait orchestrer mon cœur.
Je priai pour que cette vie
Vogue au-delà de la survie
Et verse enfin dans le bonheur !
V
Dans le ciel scintillait la Lune
Entourée d’astres lumineux,
Tous les nuages charbonneux
Avaient déserté la nuit brune.
La mort rangeait ses longs filets
Sur le sable grisé de cendre.
Une brise légère et tendre
Chantonnait au soir ses couplets,
Refrain chaleureux sur la toile
De l’univers. Je m’endormis
D’un sommeil aux rêves ravis,
Loin de la mort et de son voile…
VI
Je m’éveillai sur une plage
Baignée d’un soleil chaleureux.
Les grands pins voguaient bienheureux
Entre les vagues d’un nuage.
Le ciel soudain se fit azur,
Un cygne écrivit un long vers,
Un signe inscrit sur l’univers
Pour louer la vie, un futur…
VII
Le cygne fendait l’eau, majestueux et beau,
Dans le crépuscule s’éveillaient les étoiles
Dissipant peu à peu les brumes de leur voile,
L’ange dans les cieux semblait bénir les flots.
Au loin l’on entendait des chevaux les sabots.
Le bruit de leur course dans le soir automnal
Finit par agonir de ses pas en rafale
Dans le silence bleu d’une nuit sans tombeaux.
Le cygne blanc nageait au rythme de la lune
Dont le chant bienveillant aux notes opportunes
Charmait l’onde sereine et comblait d’infini
Le monde s’endormait dans la blonde harmonie
D’une paix recouvrée, remettait à demain
L’enfer de la guerre, ses fers, son venin…
© Monique-Marie Ihry
Poème extrait du recueil de poésie Cueillir les roses de l’oubli, Éditions Mille-Poètes en Méditerranée, Narbonne, 2014
* * *
La première remarque qui se dégage de ce poème autobiographique écrit à la première personne, est que son auteure, habituée formellement aux poèmes de longueur moyenne, a éprouvé cette fois le besoin d’utiliser le poème très long (78 vers). La cause à l’origine de ce changement est qu’elle tente de faire un bilan de son existence d’adulte ; celle-ci se compose, selon ses dires, de deux étapes distinctes. La première était marquée par l’infortune et la cruauté du destin. Dans la seconde qui se poursuit au présent, elle a trouvé la quiétude et le bonheur. Cette division nette du parcours de la locutrice l’a aidée à bien traiter son texte esthétiquement et ce, en usant simultanément de deux procédés majeurs : la technique de la temporalité et la métaphorisation. Ainsi, pour mettre en évidence l’atrocité de la première étape et bien la séparer de la seconde, elle a utilisé le symbole de l’oiseau de mort et le flash-back, tandis que dans la deuxième étape qu’elle présente comme empreinte de bonheur, elle a choisi le symbole contraire du cygne et le temps présent.
La seconde remarque à faire est que tous les événements relatés ici se passent à l’intérieur de la locutrice, d’où le caractère purement psychologique du poème qui offre au lecteur une sorte d’auto-analyse introspective plongeant, d’abord, dans la mémoire pour réveiller des souvenirs obscurs douloureux formant un véritable cauchemar, ensuite dans l’esprit éveillé pour décrire les sentiments de bien-être et de sérénité que l’auteure éprouve au temps de l’énonciation.
Un poème magistral qui retrace admirablement une bonne partie de l’itinéraire individuel de la poétesse et qui séduit par l’originalité de ses images et la charge émotionnelle de ses mots.
Mohamed Salah Ben Amor
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