La maison vide
L’Espagne n’est plus désormais qu’une
profonde blessure
dont les sillons féconds se gorgent
de semences sanguinaires.
Les prés exhalent l’haleine fétide de la mort,
les champs sont jonchés de corps allongés,
dont la précieuse vie s’en est ‒ hélas ‒ allée.
L’Espagne funambule vacille entre enfer et démons.
Les maisons se vident, les prisons se remplissent,
tout comme les chambres de torture qui fleurissent
les caves et les villes.
Parmi tous, l’emploi de bourreau est devenu,
le mieux rémunéré. On se croirait revenus
aux temps de l’Inquisition
lorsque le printemps de chaque jour faisait éclore
dès les premières lueurs de l’aube la délation
et que, dans le grand ménage de la sorcière religion,
des vies innocentes n’étaient plus
qu’une simple mauvaise herbe de plus
à éradiquer.
Il pleut des gerbes de balles sur la plaine,
et dans les prés, à perdre haleine,
ravis, les charognards font leur marché
pendant que, dans les maisons désertes
aux portes branlantes entre-ouvertes,
des portraits abandonnés sur une commode
témoignent de jours où, sereine fut l’Espagne,
où les enfants pouvaient se laisser à rêver
à des cours de récréation sans le fantôme
d’un fusil… !
© Monique-Marie IHRY
(Extrait d’un recueil de poésie de l’auteure sur le thème de la Retirada qui paraîtra courant 2021)
Ce poème fait partie de l’un des textes qui m’a permis d’obtenir le Grand Prix Jean Bonicel dans le cadre du concours ARCADIA 2020.