TÚ ME QUIERES BLANCA / TU ME DÉSIRES IMMACULÉE
Voici un extrait d’un recueil à paraître prochainement. Il s’agit ici du poème « TÚ ME QUIERES BLANCA / TU ME DÉSIRES IMMACULÉE » de la poète argentine Alfonsina STORNI, extrait de l’ouvrage » Le doux mal » publié en 1918. C’est un poème très connu mettant en avant une revendication féministe bien légitime.
TÚ ME QUIERES BLANCA / TU ME DÉSIRES IMMACULÉE
Alfonsina STORNI, Le doux mal (1918), traduction de Monique-Marie IHRY
(Extrait du recueil de poésie El dulce daňo/ Le doux mal à paraître courant mars 2020 aux Éditions Cap de l’Étang dans une collection bilingue)
TU ME DÉSIRES IMMACULÉE
Tu me désires telle l’aube,
Tu me désires d’écumes,
Tu me désires de nacre.
Tu veux que je sois un lys
Et surtout, chaste.
Avec un parfum délicat,
Une corolle close.
Qu’aucun rayon de lune
Ne m’ait caressée.
Qu’aucune marguerite
Ne se dise mon égale.
Tu me désires comme la neige,
Tu me désires immaculée,
Tu me désires comme l’aube.
Toi qui as eu tous
Les calices à portée de main,
Les lèvres violettes
De fruits et de miels.
Toi qui, au festin,
Étais couvert de feuilles de vigne,
Tu as compromis ton corps
En festoyant avec Bacchus.
Toi qui dans les jardins
Noirs du Mensonge,
Vêtu de rouge,
Tu t’es précipité vers ta Ruine.
Toi dont le corps
Reste intact
Par je ne sais encore
Quel miracle,
Tu me veux immaculée
(Que Dieu te le pardonne)
Tu me veux chaste
(Que Dieu te le pardonne)
Tu me veux comme l’aube !
Enfuis-toi vers les bois ;
Pars à la montagne ;
Lave-toi la bouche ;
Vis dans des cabanes ;
Touche avec tes mains
La terre mouillée ;
Alimente ton corps
Avec la racine amère ;
Bois l’eau des roches ;
Dors sur le givre ;
Lave tes vêtements
Avec du salpêtre et de l’eau :
Parle aux oiseaux
Et lève-toi à l’aube.
Et quand tes chairs
Seront revenues normales,
Et quand tu auras penché
Sur elles ton âme
Qui, dans les alcôves
S’est retrouvée enchevêtrée,
Alors, bonhomme,
Tu pourras exiger que je sois immaculée,
Tu pourras exiger que je sois comme la neige,
Tu pourras exiger que je sois chaste.
* * * * * * * * * * * * * *
TÚ ME QUIERES BLANCA
Tú me quieres alba,
Me quieres de espumas,
Me quieres de nácar.
Que sea azucena
Sobre todas, casta.
De perfume tenue.
Corola cerrada.
Ni un rayo de luna
Filtrado me haya.
Ni una margarita
Se diga mi hermana.
Tú me quieres nívea,
Tú me quieres blanca,
Tú me quieres alba.
Tú que hubiste todas
Las copas a mano,
De frutos y mieles
Los labios morados.
Tú que en el banquete
Cubierto de pámpanos
Dejaste las carnes
Festejando a Baco.
Tú que en los jardines
Negros del Engaño
Vestido de rojo
Corriste al Estrago.
Tú que el esqueleto
Conservas intacto
No sé todavía
Por cuáles milagros,
Me pretendes blanca
(Dios te lo perdone)
Me pretendes casta
(Dios te lo perdone)
Me pretendes alba!
Huye hacia los bosques;
Vete a la montaña;
Límpiate la boca;
Vive en las cabañas;
Toca con las manos
La tierra mojada;
Alimenta el cuerpo
Con raíz amarga;
Bebe de las rocas;
Duerme sobre escarcha;
Renueva tejidos
Con salitre y agua;
Habla con los pájaros
Y lévate al alba.
Y cuando las carnes
Te sean tornadas,
Y cuando hayas puesto
En ellas el alma
Que por las alcobas
Se quedó enredada,
Entonces, buen hombre,
Preténdeme blanca,
Preténdeme nívea,
Preténdeme casta.