Archive pour novembre, 2017
Offrande
Elle implora le vin, son extase infinie
Et se réfugia aux confins d’un abîme
À l’abri des tourments et de l’ignominie,
Savoura l’élixir, son vertige sublime,
Espérant oublier les sentiers de la nuit
Pour renaître à la vie, s’éveiller à l’aurore
Délivrée de ce poids qui toujours la poursuit
Dans l’absence d’amour où rien ne peut éclore.
Mais elle se noya dans les flots de la mer.
Sa barque chavira sous le vent de la peine
Bousculée, balayée par un rouleau amer,
Engouffrée dans l’abîme, entourée d’une chaîne…
Et puis soudainement, elle vit s’élever
Une ode aux beaux printemps, à sa vie de bohème.
Sur le feston des flots l’on vit se dérouler
Un chapelet de vers orchestrant un poème,
Sereine poésie logée dans les tréfonds
De son cœur esseulé, amie douce et fidèle,
Ange aux gants de velours animé de profonds
Sentiments, l’invitant à voguer sur son aile…
Par ces rimes portée, dans le vent de l’oubli
Elle s’abandonna, paisiblement bercée
Sur un nuage bleu, buvant jusqu’à la lie
Une dernière fois cette offrande versée…
© Monique-Marie Ihry - 15 octobre 2016 -
Extrait de mon recueil Telle la feuille au vent d’hiver paru en octobre 2017
(toile de l’auteure » Quizás » (2017) – Huile sur toile 46 x 38 cm– )
» Au banquet de la vie » commenté par le Pr Mohamed Salah Ben Amor
» Au banquet de la vie « poème de Monique-Marie Ihry – Narbonne –France : commentaire du Pr Mohamed Salah Ben Amor, critique littéraire.
I
J’ai à peine consommé au banquet de la vie
Je n’ai point tout à fait mis fin à cette envie
De m’éveiller chaque matin
Dès le chant de l’aurore abreuvée d’espérance
Emportée par les mots, oubliant ma souffrance
Portée par mes rimes satin.
Il sera toujours temps de replier mon aile
Quand l’aube venue ma dernière chandelle
Viendra en silence mourir
Éteignant cet espoir qui animait mon âme
M’emportant vers mon sort comme une vieille femme
Que l’hiver soudain vient flétrir.
II
Je pars pour un voyage aux confins de la mort.
Mes bagages sont prêts, je m’incline sur ce sort
Que Satan lui-même m’impose.
Je n’ai que trop vécu, souvenirs très pesants,
Des boulets que l’on traîne au désespoir des ans
Imposant une vie morose.
Le voyage sera court, je vais vers mon destin
Il n’est plus de demain, je pars vers l’incertain
Voguer sur l’onde du mystère
Dans la brume du soir, où le soleil se meurt
Où les jours sont des nuits, où règne la laideur
Dans un antre crépusculaire.
Nul besoin de bagage aux confins de la mort,
Sur ce triste rivage, arrivée à bon port
Satan me tendra une rose
Aux épines dressées qui tacheront de sang
Mon âme virginale, me livrant au croissant
D’une faux affutée, éclose.
III
Adieu mes livres, mon crayon, mes cahiers
Je dois abandonner tous les plaisirs premiers
Qui édulcorèrent ma vie.
Je ne verrai plus l’aube et sa douce senteur
Ni la rosée des bois, son parfum enchanteur
Enivrant ma lente survie.
Adieu mon amour, mon amant, mon ami,
Dans le soir triomphant le soleil a faibli
Et le jour se métamorphose.
Dans l’affreux crépuscule la lune va mourant,
Mon cœur au son du soir capitule, se rend,
Il est temps de faire une pause.
Une pause bien longue empreinte de rancœur
Un aller sans retour vers un monde sans fleur
Où n’éclot que la verte épine
Où l’aurore n’est que noire car le soleil n’est plus
Où la vie est un leurre et les rêves superflus,
Dans les cieux la mort assassine !
IV
Je n’ai rien consommé au banquet de la vie
Et voilà que s’éteint mon élan de survie.
Dans le silence de la nuit
Ma dernière chandelle avorte au son du glas.
Je ne reverrai plus au jardin les lilas,
Ton sourire et le jour s’enfuit…
Il est temps de partir, de replier mon aile
Tel un oiseau blessé au gémissement frêle.
J’abandonne ma plume aux vents
Et me laisse emporter par le Diable et sa fougue
Au mystère des cieux, les mains liées au joug
De l’enfer, ses sables mouvants…
© Monique-Marie Ihry – 9 septembre 2015 –
Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor :
Que s’est-il passé ? Est-ce bien Monique-Marie Ihry qui a écrit ces vers ? Ou bien elle nous parle par la voix d’une autre ? Ou encore c’est elle qui les a écrits mais dans un moment passager de désespoir comme cela arrive à chacun d’entre nous ? Depuis plus de quatre ans déjà, elle nous a habitués à afficher dans ses poèmes un bonheur sans nuage et un optimisme sans faille, s’abandonnant de toute son âme au plaisir de la vie et regardant l’avenir d’un œil serein et confiant. Mais voilà que l’horizon s’obscurcit contre toute attente et l’univers tout entier se métamorphose en un lieu funèbre sur lequel pèse une atmosphère de deuil et de larmes ! Quoi qu’il en soit, ce poème montre à quel point le poète lyrique – et Monique-Marie en est l’une des meilleures représentantes – est fragile et friable et il suffit d’un rien pour qu’il change d’un état à un autre tout à fait contraire, d’un accord harmonieux avec l’univers à une rupture totale avec lui comme on le constante dans le cas présent .Le grand poète tunisien de tous les temps Aboulkacem Chebbi (1909 -1934) qui nous a gratifiés d’un bon nombre de poèmes reluisants dans lesquels il a chanté la vie (le titre de son unique recueil portait justement le titre de Chants de la vie) n’a-t-il pas écrit aussi ces vers tragiques sous l’effet d’un pressentiment de départ imminent ?
« Calmez-vous ô blessures ! Taisez-vous ô chagrins ! L’époque des lamentations et le temps de la folie Sont révolus Le matin a point derrière les siècles Et le rugissement des eaux derrière les ténèbres Le matin et le printemps de la vie m’ont appelé Et leur appel m’a fait trembler le cœur Qu’il est irrésistible cet appel ! Il n’est plus question pour moi de rester dans ces lieux Adieu ! Adieu !Ô montagnes des tourments ! Ô défilés de l’enfer ! Ô collines de la tristesse ! Ma barque a pris le large dans les eaux profondes de l’océan J’ai levé la voile, adieu ! Adieu ! »
Mais si le contexte de l’énonciation est le même, Chebbi, à la différence de Monique-Marie, voit dans ce départ une délivrance du gouffre terrestre tandis qu’elle l’appréhende comme une perdition irréversible et que l’au-delà se réduit à ses yeux uniquement à l’Enfer.
Cependant, connaissant parfaitement les caractéristiques de l’âme lyrique dont surtout le changement constant de l’humeur, nous ne serons point surpris de voir notre poétesse dans ses prochains écrits renouveler sa confiance en soi et en l’avenir et reprendre goût à la vie. Stylistiquement, ce poème, grâce au ton de sincérité dont il est empreint, à ses images finement ciselées et à ses sonorités bien rythmées a atteint comme la plupart de ceux qui l’ont précédé un haut degré de poéticité.
Sous un soleil de mai
Tel un oiseau blessé dans un dernier envol
Je m’élance confiant, franchis le dernier col,
Espère redescendre au creux d’une vallée
Là où la guerre enfin s’en est vraiment allée.
Mais mon aile brisée m’arrache un cri d’horreur.
Ce n’est pourtant pas grave. En bas c’est la terreur.
Je pense à tous ces gens qui moururent si jeunes,
Pour eux tout est fini quand des autres déjeunent
Espérant résister à la peur qui les prend,
Espérant profiter en étant transparents,
En échappant ainsi à un gilet de bombes…
Et puis je vois passer une blanche colombe.
Mon cœur s’éprend d’espoir. Je suis au dernier col,
Le franchirais-je enfin dans ce dernier envol
Ou reviendrais-je en bas pour ne pas être lâche…?
J’aperçois la vallée où la beauté se cache.
Je fais un demi-tour et reviens sur mes pas.
En bas c’est la terreur, j’entends sonner le glas,
Mon aile me fait mal mais je vole quand même.
Je m’élance confiant vers tous ces gens que j’aime.
Promettant mon soutien, leur parle de l’oiseau,
De la colombe blanche, d’Hélène et son fuseau,
De l’espoir qui éclot comme une belle rose,
D’amitiés qui se lient sous les pluies de ventôse,
De la beauté du jour, du charme de la vie
Lorsque règne la joie et que la faux dévie.
L’amour est le plus fort soyez-en bien certains,
Il nous promet encor de nombreux lendemains,
Repoussera Satan en-deçà de la Terre,
Évincera sa faux et son grand cimeterre,
Puis nous retrouverons le baiser de la paix
Qui pansera nos cœurs sous un soleil de mai !
© Monique-Marie Ihry – 2 décembre 2015 –
- Poème extrait du recueil de poésie intitulé Un monde sans sépulture paru en novembre 2017, en vente sur amazon.fr
- Aquarelle de l’auteure intitulée « La mélancolie du cygne » (2017)