Chimères
Bientôt viendra l’automne et sa froide beauté, bientôt les grands frimas d’une rancœur amère pour tous ces vagabonds en quête de chimère désirant prolonger les douceurs d’un été.
N’ayant plus de logis où pleurer son destin, n’ayant plus de destin en lequel croire encore, sans aucun horizon ni de possible aurore, le vagabond s’endort comme un triste pantin. Sur sa joue maculée une larme de fiel nage dans le sillon d’une ride sommaire, n’ayant pas de lagon à la rive primaire pour épancher son cœur sous un clément soleil.
Qu’il est long ce chemin clairsemé d’arbres morts où même la rose à la blonde corolle se refuse à offrir sa majesté en obole, déléguant ses larmes en ultimes transports, chemin parsemé des troncs endeuillés de l’automne jonchant le cimetière des espoirs légitimes… Où sont ces temps azur où le ciel insouciant abandonnait ses bleus et son or à la plume poète d’un printemps en fête ? À quand ce bel été, ces matins sereins où le froid ne mordra plus la main gercée tendue, ces soirées clémentes sous la bénédiction d’une lune féconde qui inondera le monde de ses vœux exaucés ? Il n’est plus d’aurore sur un cœur défaillant, il n’est plus d’espoir aux frontières de la pauvreté lorsque l’hiver se pare de sa froide beauté.
Il nous faut espérer qu’un jour prochain réduira les inégalités et donnera enfin à chacun le pain de chaque jour. Mais n’est-ce pas pure utopie lorsque l’on sait que depuis la nuit des temps les rêves rejoignent rarement les frontières de la réalité en matière d’équité ? Les rêves ne sont que des songes comme le disait si justement Calderón de la Barca dans La vie est un songe, et les songes demeurent donc par le fait de simples chimères sur le tracé orphelin de la vie.
N’ayant plus de destin en lequel croire encore, le vagabond s’endort comme un triste pantin, ivre d’une solitude dans laquelle il se noie chaque jour davantage, et la ville continue son va-et-vient égoïste dans une course folle au dépassement de soi, et l’automne installe sur les trottoirs glissants un tapis illusoire de beauté éphémère, devançant de peu l’hiver et les frimas rigoureux destinés au cœur solitaire livré à l’abandon du jour, sous le regard méprisant d’une foule pressée.
© Monique-Marie Ihry - 19 novembre 2013 -
(Extrait du recueil de poésie » Au chant de l’automne » paru en avril 2015 aux Éditions Mille-Poètes en Méditerranée)
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